Sur le sentier des Appalaches

Cette semaine, je me lance sur le mythique Sentier des Appalaches. Il fait partie de 2-3 sentiers transcontinentaux aussi populaires en Amérique du Nord que le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en Europe. Le Sentier des Appalaches part près d’Atlanta en Géorgie et rejoint le Maine, à Katahdin, près de la frontière avec le Canada. Cela fait plus de 2000 miles, près de 3500km. Il y a aussi une bonne section au Canada à travers le Nouveau-Brunswick et le Québec, pour rejoindre le cap Gaspé, que je vais bientôt atteindre aussi.

Appalachian Trail direction

Voilà mon premier jour sur le sentier des Appalaches. Et ce fut court. Ayant commencé à 16h20, le premier abri est à 1.6 miles (2,6 km). Je crois ne jamais avoir grimpé une telle pente, juste en parallèle d’un ruisseau, près de 600m de dénivelé en 1h30 avec mes 15kg sur le dos. Les rochers qu’il faut utiliser pour grimper sont bien humides, de nombreuses fois je crains de glisser. Il n’y a presque pas de terre pour planter mes bâtons et prendre appui. Et parfois quelques glaçons encore moins adhérents.

Arrivé à ce premier stop, le refuge du ruisseau du castor (beaver brook shelter), j’avais déjà perdu pas mal confiance dans ma capacité à continuer ce soir jusqu’au refuge suivant. Sur place, un autre randonneur m’a déconseillé de tenter l’ascension du Mont Moosilauke, je me suis fait une raison. Je passe donc une première nuit ici après une ascension trop courte. Je vais devoir bombarder demain. En discutant avec les 4 randonneurs qui furent là ce soir, je me rends compte que si je marche un peu plus qu’eux, je suis beaucoup plus ambitieux, visant presque le double de distance quotidienne. Allez il est 20h et je vais me coucher de manière à me lever avec le soleil.

Réveil à l'aube dans le refuge

Il a finalement fait bon cette nuit, même s’il me semble qu’il a plu un peu. Je craignais le froid comme les jours précédents, aggravé par l’altitude. Je décolle du refuge à 5h40 avec la satisfaction d’avoir réussi à me lever puis me met à gravir la pente vers le Mont Moosilauke. La montée n’est pas si fraîche malgré la faible lumière du jour qui percé dans la forêt, mais elle est plutôt abrupte et avec beaucoup de rochers, souvent humides. Je sors de la forêt et découvre les alpages qui entourent le sommet.

les alpages, j'approche du sommet

J’atteins le venteux sommet à 7h pour y voir le début du jour. C’est beau, les alpages du sommet aux tons bruns sont entourés par des forêts vert foncé sans fin. Je ne reste pas longtemps près du tas de pierres qui marque le sommet, le vent froid pénètre mes vêtements et me refroidit assez vite.

au sommet du Mt. Moosilauke

Je continue le long de la crête un peu avant de rejoindre la forêt pour redescendre. La descente n’est pas facile non plus, probablement aussi pentue que la montée. Je ne veux pas risquer de glisser sur les rochers humides.

Une fois en bas, le chemin traverse des forêts pendant presque toute la journée, jusqu’à 16h environ, après 18 miles (29km). Là un deuxième sommet m’attend, le mont Cube. La montée est très dure, à cause de ma fatigue et du fait que j’ai mal géré mon eau et je n’en ai plus tant que ça. La pente change sans cesse, il y a souvent des escaliers de rochers cassant mon rythme. Je reste dans la forêt tout le long, en essayant de distinguer plus de lumière, qui serait signe de la fin de la forêt et l’arrivée au sommet.

Mt. Cube panorama

J’y arrive finalement vers 20h. Le paysage est particulièrement joli, le soleil s’apprête à se coucher à l’horizon. Le sommet est recouvert d’un plateau de rochers encerclé par la forêt à perte de vue, avec quelques petites clairières autour de lacs. Les reliefs et différents plans sont magnifiques. Le temps de prendre quelques photos, je ne traîne pas, mon refuge est à 40 minutes (ce que je crois, mais je mettrai une heure à l’atteindre).

Contemplation du soleil couchant au Mt. Cube

Je descends le long de gros plateaux de rochers, secs cette fois-ci, reliés par la forêt dans laquelle je m’enfonce. Elle devient dense et sombre avec le soleil qui se couche. Depuis les clairières rocheuses, j’aperçois le soleil orangé qui donne sa teinte à l’horizon. Dans la forêt, je dois allumer ma frontale au bout d’un moment. Ce refuge semble ne jamais venir. Je l’atteins après plus de 15 minutes de marche à la frontale. J’y suis seul. Je me cuisine vite fait des mac and cheese (coquillettes au fromage) pour me réconforter et je vais me coucher avant 22h, pour être en forme demain (et les moustiques me tournent autour). J’ai réussi ma longue journée et ses 23 miles (37km), même s’il a fallu que je parte au lever du soleil et que j’arrive à son coucher. J’espère que demain sera plus détendu.

Ce matin suivant, je me réveille un peu plus tard et plus détendu. Je m’arrête au ruisseau récupérer un peu d’eau. Je marche dans la forêt couverte, puis sous une chaleur lourde toute la journée jusqu’à ce que l’orage éclate.

Mais voilà, le soir venu, c’est la fin. J’ai “seulement” atteint le refuge du trappeur John, à 10 km du refuge suivant, mon objectif initial de la journée. Cela me fait une journée à 12 miles (19km), ce qui est très correct. Demain je rejoindrai la gare routière en stop, elle est trop loin pour que je l’atteigne à pied (à plus de 30 km).

le confort du refuge du trappeur John

Ce fut une dure journée, mais essentiellement à cause de mes erreurs. Hier déjà j’ai sous-estimé mon besoin en eau et je me suis retrouvé à avancer lentement simplement par manque d’eau, du moins je pense qu’en ayant bu plus, je serais allé plus vite. Je décide même de m’arrêter pendant 2h pour être sûr d’avoir finalement assez d’eau, le temps d’attendre que mes pastilles suffisent à rendre l’eau potable.

Je crois que j’ai pris la décision de ne pas aller au bout et de m’arrêter là vers 10 ou 11h ce matin. J’avais atteint un refuge dont la source d’eau était décourageante, une flaque d’eau stagnante. Assoiffé, j’en ai fait bouillir un tout petit peu pendant 5 bonnes minutes, pour être sûr d’éliminer les bactéries. Je me suis dit qu’avec si peu d’eau, je n’aurais pas la motivation et la force d’aller au bout. D’un côté, il s’en est fallu de peu car si j’avais prévu assez, je n’aurais pas eu besoin de pause si longue et aurais peut-être pu tirer jusqu’au refuge suivant.

Enfin c’était sans compter sur l’orage qui a éclaté après une journée sous une chaleur lourde et la saucée qui me sont tombés dessus en pleine forêt. Comme une façon supplémentaire de refroidir mes ambitions.

Bref, me voilà à la quasi-fin de mon périple. Mes 36 premiers miles (58km) sur le sentier des Appalaches. Peut-être pas les derniers, sait-on jamais. Et ma première randonnée de plusieurs jours de l’été, la deuxième en tout. Au moins j’ai appris que la bouffe, le dodo et surtout l’eau sont très importants. Et que 30km par jour, c’est trop ambitieux. La prochaine fois je le saurai.

Smarts Mountain

Aujourd’hui fut intéressant car j’ai croisé deux personnes. C’est peu pour un sentier si populaire. Les deux randonneurs tentaient des randonnées longues. Le premier ne semblait pas très rapide mais déterminé, il était déjà parti depuis 3 jours et il semble qu’il comptait continuer un moment. Le deuxième ne fait pas partie de ceux qui tentent le sentier complet mais un fou quand même. Il est parti début avril de Harper’s Ferry, à la moitié du sentier, pour tenter de rejoindre la fin dans le Maine. Il a beaucoup de mérite puisqu’il tient toujours le coup, avec a priori une moyenne de l’ordre de 15 à 20 miles par jour (25-30km). Il est bien parti pour atteindre le bout, à Katahdin, ayant déjà parcouru 750 miles (1200km). Un de ses potes a apparemment réussi le sentier complet en 101 jours soit 22 miles par jour en moyenne (35km). Il marchait jusqu’aux villes les plus proches en plus pour se ravitailler.

Ce jeudi matin je me réveille difficilement à l’aube pour être sûr d’avoir le temps d’attendre que quelqu’un me prenne en stop. Je dois parcourir 6 km jusqu’au village le plus près du refuge puis chercher un moyen de relier Hanover voire White River Junction, là d’où mon bus part.

Je pars vers 6h15 pour descendre vers la route. Je l’atteins assez vite et avant 7h je longe la route goudronnée (elle est goudronnée seulement à partir de l’intersection où je l’ai rejointe). Il y a déjà plusieurs voitures qui me dépassent, probablement ceux qui embauchent à 7h. Avant d’atteindre le premier petit bourg (il y a moins de 10 maisons), une dizaine de voitures m’ont déjà ignoré. Mais très vite quelqu’un me récupère et m’emmène non seulement au village suivant mais même jusqu’à Hanover, devant l’université de l’Ivy League Dartmouth College. Particulièrement sympa, Tim me parle de sa fille qui a un fiancé français et vit à Londres. Le temps passe vite et à 7h30 il me pose devant le bâtiment de briques rouges du Dartmouth Outing Club. Cette organisation d’étudiants entretient la section du sentier des Appalaches que je viens de randonner. L’école a tiré profit de la popularité du sentier et de ce club pour sa propre image.

Dartmouth Outing Club

Je parcours les quelques bâtiments de l’université autour d’un petit parc. L’université ne semble pas si grande mais Hanover est aussi une petite ville, l’université prend donc la majorité de la place ici. Je parcours la rue principale de Hanover. C’est mignon, et c’est une ville universitaire typique de la Nouvelle-Angleterre, aux bâtiments de brique rouge.

Je passe la matinée ici à profiter d’un bon café et muffin après 3 jours loin de la civilisation. Je me rends compte qu’un bus local peut m’amener près de mon car pour rentrer au Canada et je file près de la gare routière, proche de la jonction d’autoroutes. Je passe le reste de mon après-midi au mcdo de cette zone industrielle en attendant le départ de mon car.

Le trajet du retour est long, mais il me laisse le temps de repenser à cette randonnée. Ce fut une belle expérience malgré ma mauvaise gestion de l’eau. Je ne sais pas quand je recommencerai la prochaine fois, probablement très vite, mais peut-être pas pour si longtemps (2 jours c’est déjà bien), et surtout sans une telle ambition.