Perdu dans les Alpes

On est arrivé à 3h du matin au nommé Chamoniard Volant, notre auberge pour cette première courte nuit avant le début de l’aventure. On sort de l’auberge le lendemain pour se retrouver dans une vallée bordée de deux massifs enneigés. On rejoint le début du sentier dans un hameau à 1300m et c’est parti pour deux jours dans les montagnes.

on sort de l'auberge le lendemain pour se retrouver dans une vallée bordée de deux massifs enneigés

On commence par un sentier dans la forêt, parsemés de très rares taches de neige. La sortie de la forêt, vers 1800m, nous fait découvrir les alpages de Loriaz, superbes en cette saison. Je suis toujours séduit par les couleurs des alpages, ce mélange de vert, de tons jaunes à marron, les buissons et l’herbe rase ponctués de rochers afleurant. Assez vite, on voit apparaître devant nous une collection de quelques cabanes en pierres alignées, collées les unes aux autres. Ce sera notre refuge, que l’on méritera chaudement si on s’aventure plus haut dans la montagne, probablement dans des passages enneigés.

on voit apparaître devant nous une collection de quelques cabanes en pierres alignées

Depuis les alpages, en se retournant on peut embrasser la vue sur toute la vallée et ses massifs alentour. Sur notre droite on voit une montagne avec une portion tout juste saupoudrée de neige recouverte de quelques sapins, qui sera particulièrement belle dans la lumière du soleil descendant en fin de journée. Mais en face de nous la montagne est nettement séparée en étages. Les forêts jusque dans la vallée, puis en montant une ceinture de végétation rase de plus en plus rocheuse, laissant la place à la neige petit à petit. Sur la moitié la plus haute, la neige semble de plus en plus épaisse et les couloirs entre les sommets doivent sans doute déjà être skiables. Et ces fameux sommets, quelques aiguilles enneigées qui se perdent dans la brume et quelques crêtes de pics hérissés. On s’offre une pause pique-nique au refuge de Loriaz, ancien ensemble d’étables, lieu silencieux où l’on s’installerait volontiers pour plusieurs jours, nourris par le gardien, à contempler les paysages alentour.

sur le sentier

La montée suivante nous mène dans ce qui nous semble un cul-de-sac, dans le creux d’un pierrier. Après une montée pas trop exténuante, on se retrouve à la base du pierrier parsemé de neige, perplexe face à ce sentier que l’on ne voit pas monter jusqu’à une possible brèche qui nous mènerait au sommet. On vient en plus de perdre le sentier, même si la carte le montre à moins de 20m. On reste plusieurs minutes hésitants à essayer de deviner un passage pour gravir le pierrier. On s’y risque finalement et on grimpe la pente en parallèle les uns des autres, avec l’espoir de retrouver le sentier (que le gardien de refuge nous a annoncé peu marqué de toute façon).

perplexe, face au mur

On atteint un rocher plus massif qui sépare le pierrier en deux. L’erreur est commise à ce moment. L’un de nous bifurque à gauche et quelques autres à droite. Il nous faut un peu de temps pour nous en rendre compte, mais, trop contents d’avoir gravi la pente, personne ne veut redescendre pour remonter un peu plus loin. Le groupe de droite, on se retrouve à grimper un passage en escalade, à s’appuyer sur quelques prises dans la paroi pour se hisser un peu plus haut. Ce passage un peu dur nous refroidit, nous nous apprêtons à redescendre, il nous reste 2 heures avant la nuit. Dom, qui n’avait pas grimpé du même côté que nous, nous parle d’en haut. Il a trouvé le bon chemin, il a atteint le sommet que l’on cherchait. De notre côté nous sommes coincés, nous devons redescendre. On se rend compte pendant la descente qu’un de nous, Laurent, a grimpé plus haut, probablement tout en haut, en escalade. On se doute qu’il a retrouvé Dom là-haut. En redescendant on aperçoit celui-ci, seul. Il nous dit ne pas avoir vu Laurent. Quelques instants sont nécessaires pour réaliser qu’il est sans doute seul là-haut. Il n’a rien dit depuis un moment, on n’a aucune nouvelle de lui. On crie son nom, on l’appelle sur son téléphone, pas de réponse. On espère qu’il n’est pas blessé, à terre, sans réseau téléphonique. Dom et moi prenons le chemin qu’il avait trouvé et on grimpe vers le sommet. La pente est ardue, même si en suivant le bon sentier, la montée est moins dure, les cailloux roulent moins sous nos pas.

Le col de la Terrasse ouvre sur un plateau rocheux et recouvert partiellement de neige

On arrive au col découvert, agité par le vent. Il ouvre la vue sur un plateau rocheux et recouvert partiellement de neige. On appelle à gauche, à droite, pas de réponse. On avance un peu, on doit d’abord contourner quelques amas de rochers pour avoir une vue sur l’ensemble du plateau. Le sentier est sur un tas de rochers présentant des crevasses et trous entre les blocs rocheux. La neige qui recouvre le tout peut aussi bien cacher un rocher qu’un trou, il faut donc faire bien attention, à chaque pas. Sur la gauche je lève la tête pour sonder l’arête rocheuse qui délimite le plateau. Je vois là un point qui se déplace, c’est bien Laurent. Je crois qu’il nous a vu. Je l’appelle, lui fait un signe, il répond. Maintenant il s’agit de trouver un sentier pour se rejoindre. On progresse dans les méandres de l’amas de rochers pour atteindre le plateau à perte de vue. On ne voit plus Laurent mais on suppose qu’il a suivi un chemin moins à découvert. On avance assez vite en faisant attention aux potentiels trous dans le sol et en essayant de suivre vaguement un sentier invisible, recouvert par la neige. On entend alors du bruit, je l’assimile à des cris de souffrance, mon comparse est moins pessimiste, mais de toute façon le son est déformé par le vent. Cela nous pousse à accélérer pour retrouver Laurent plus vite. On le découvre au détour d’un rocher, courbé, replié sur ses mains qu’il essaie probablement de réchauffer contre son corps. J’immortalise leurs retrouvailles. Laurent semble fatigué, il nous raconte qu’une fois le sommet atteint, il a essayé en vain de trouver le bon chemin pour redescendre. Il est probablement passé proche, mais la faible visibilité du sentier n’a pas aidé. Maintenant que tout va bien, on en profite pour apprécier le paysage et prendre quelques photos. Le paysage est magnifique, le plateau est un désert de roches et de neige. Sur les rochers rugueux, le vent a modelé des dunes de neige et recouvert la moindre trace de randonneurs avant nous. Au milieu du plateau, un lac majoritairement gelé, au teint vert. Le plateau est délimité de notre côté par une arête rocheuse, qui donne sur une quasi falaise ou un pierrier à peine moins abrupt. En face, un sentier en zig-zag permet l’ascension vers le sommet suivant dans les nuages, le col du cheval blanc, qui lui-même ouvre la voie vers le mont Buet qui domine le massif à près de 3100m.

A droite de ce massif, les montagnes sont plus rondes et les versants, totalement rocheux, sont nervurés par la neige. La descente n’est pas très aisée, en particulier le début, très à-pic. La suite est un éboulis, on doit rester attentif à ne pas glisser malgré la fatigue. Une fois le sentier à pente douce retrouvé, le chemin est agréable pour trouver notre accueillant refuge pour la nuit.

Retour sur le refuge

On y trouve le réconfort d’une bière méritée et d’une croziflette qui nous fait grand bien pour recharger les batteries. Avec ça sur l’estomac, on prend juste le temps d’ébaucher une possible randonnée pour le lendemain et de se mettre d’accord pour l’heure du petit-déjeuner avant d’aller se coucher, à neuf heures à peine passées. Dans la cour du refuge, sur le chemin du dortoir, alors que la nuit est bien tombée, le ciel est rempli d’étoiles. Il suffit d’attendre quelques secondes que nos yeux s’habituent pour même profiter de la voie lactée, dans un ciel très dégagé constellé de milliers d’étoiles. Un beau cadeau avant d’aller se réfugier sous les couvertures et s’endormir au chaud.