En haut du Carlit

Je suis allé à Austerlitz un vendredi soir. Pas pour aller en boîte, mais pour monter dans l’Intercités de nuit qui monte dans les Pyrénées ou qui va jusqu’à la Méditerranée, à la frontière espagnole. Il pleut ce soir-là, sur le quai souterrain pas mal d’eau se déverse en quelques endroits. Le train part en retard - mais sera à l’heure au petit matin. Les voyageurs attendent patiemment, en silence, le départ du train. À bord, il n’y a pas plus de discussion. Je m’endors facilement dans mon sac de couchage chaud, les simples couvertures de la SNCF sont un peu justes en chaleur en octobre. C’est confortable, même si je suis grand et que je touche le bout du train avec les pieds et avec la tête. À 6h du matin, arrêt à Toulouse-Matabiau, tout le monde descend, ou presque. Après ça, on devait être 10 dans le train jusqu’à Latour-de-Carol. Le trajet est agréable, on navigue dans les méandres des vallées, entourés par les montagnes boisées. Le train se vide petit à petit, je descends juste avant le terminues, à Porté-Puymorens où je dois retrouver mon ami toulousain qui monte en TER. La gare est en fait un simple abri voyageurs fermé - il y a même le chauffage pour l’hiver. Pas de gare au milieu d’un village, il faudra marcher un moment pour le trouver.

Hier soir je quittais Paris et ce matin je suis déjà au milieu de nulle part, avec vue sur les sommets recouverts de bois multicolores, forêts aux couleurs de l’automne. Je sens l’air frais sur mon visage, j’apprécie le silence autour de moi. Je suis déjà dépaysé, j’ai fui Paris le temps d’un weekend.

Mon pote me rejoint avec le train suivant. Retrouvailles joyeuses avant de se mettre en route rapidement pour notre rando ce weekend. On rejoint et traverse le village désert de Porté-Puymorens. Le chemin traîne encore un peu dans la vallée puis on grimpe sur le versant nord. Les paysages commencent à prendre une teinte sublime. On passe un cap quand on voit des pentes désertiques à la végétation rase, surmontées par les roches, évoquant l’Écosse. En regardant sur le versant opposé, la forêt multicolore est au premier étage, une couche moins luxuriante au-dessus puis les pierriers assurent les sommets. En regardant dans la vallée, on surplombe des petits lacs, et un troupeau de chevaux avec des cloches à vache qui résonnent dans toute la vallée, seul bruit alentour, viennent s’abreuver dans un des lacs. On croisera d’autres chevaux plus tard, un d’eux viendra même passer la tête dans notre refuge. On croise quelques grottes sur le chemin, remplies d’eau.

Au bout de quelques heures, on aperçoit de la fumée là où la cabane des ingénieurs d’EDF doit se situer. On approche du but, ce sera notre refuge pour la nuit. EDF dispose de plusieurs bâtiments près de ses barrages, pour les employés qui viennent travailler sur les barrages. Dans celui-ci, une partie est réservée aux employés EDF pour le travail, et une petite pièce indépendante, accessible de l’extérieur, est ouverte à tous, refuge des randonneurs qui montent au Pic du Carlit comme nous. On se rapproche pour tomber sur un groupe qui fait un feu. La pluie qui arrive les presse à l’intérieur de la cabane. Ce seront nos voisins pour la nuit. On s’installe dans notre refuge vers 13h après 3h30 de marche. La pluie commence à tomber cinq minutes après notre arrivée, on est chanceux. On reste au sec tout l’après-midi et on ressort pour découvrir le lac de Lanoux, retenu par un barrage. On a une vue superbe sur le Pic du Carlit, sur un cirque perdu dans la brume et sur toute la région entourant le - grand - lac.

On rentre de réchauffer et se reposer avant la grande ascension demain. Le Carlit nous attend, du haut de ses 2900m. Dimanche, levés et sur le chemin à 8h30 avec la lumière du jour baignant déjà bien le paysage, mais encore sans soleil. On commence par se perdre en suivant le GR au lieu de prendre la direction du Pic du Carlit. On rattrape nos voisins de la nuit, partis pêcher, qui nous donnent la bonne direction et nous revenons sur nos pas pour suivre le ruisseau et les cairns qui nous montrent le chemin vers le sommet. L’ascension commence dans de superbes paysages. Le soleil apparaît autour du Carlit. On passe une combe à l’herbe rase qui jaunit légèrement, les rochers affleurent, on contemple unpaysage de petits lacs, de pierriers … notre imagination nous embarque à nouveau en Écosse. Après 1h30 nous arrivons en bas du pierrier qui monte au Carlit. La pente, quasi-verticale, est décourageante. Sur la carte, on lit qu’il reste 500 à 800m de distance et 400m de dénivelé pour atteindre le Pic du Carlit à 2921m. Les 400 mètres de dénivelé se dressent devant nous, inhospitaliers.

On pose nos sacs contre un cairn, on sort quelques barres de céréales et des noix à mettre dans nos poches, on boit beaucoup d’eau et on cherche la motivation au fond de nous pour se lancer à l’assaut de cette forteresse rocheuse. La montée est abrupte, c’est dur et on doit utiliser les mains de nombreuses fois pour s’accrocher à la paroi. On fait de nombreuses pauses pour mieux récupérer, le coeur bat très vite au moindre effort. Le sentier est peu marqué. On voit apparaître à mi-chemin quelques taches de neige, probablement restée là tout l’été. Aux derniers mètres avant le sommet, au froid ambiant s’ajoute le vent qui nous ralentit encore un peu. On franchit le col sous le Carlit pour découvrir les paysages de nombreux lacs de l’autre côté. On s’arrêtent quelques mètres en-dessous du Carlit, il nous faudrait de grands efforts dans le vent glacial pour continuer les quelques mètres sur l’arête découverte. Ça reste ma première fois à 2900m. Je n’avais jamais atteint une telle altitude, c’est frais là-haut.

On est retourné au col, on s’est assis quelques mètres en-dessous à l’abri des rafales et on a pu contemplé les alentours, voir par-dessus les montagnes comme si on volait. C’était beau. On pouvait voir les flancs des crêtes que nous avons suivi pour venir là ainsi que ceux couverts de forêts multicolores que nous avons longée la veille. Tout en même temps.

La descente du pierrier est rapide même si on essaie de prendre le temps de rester prudent et d’éviter de faire rouler les cailloux - et pour profiter de nos derniers moments entre les lacs de montagne dans ces paysages idylliques. On redescend en silence, en savourant nos souvenirs. Le village dans la vallée n’a pas de café ou bar pour conclure nos aventures. On termine donc le weekend à la gare à attendre les derniers trains qui redescendent vers Toulouse. Je quitte mon ami et je me prépare pour une nuit douce de rêves de ces contrées magnifiques avant de rentrer à Paris et de retrouver le bureau.