À l'assaut des Rocheuses

L’arrêt à Winnipeg dure près de 4h mais passe si vite. A peine le temps de marcher à travers la ville et de trouver un point d’accès à Internet que c’est déjà reparti. L’architecture de la ville ressemble à celle de Chicago. Ses bâtiments de brique assez hauts et avec des annonces peintes presque effacées sont partout, surtout dans l’Exchange district. Il y a aussi beaucoup de fresques dans la ville. La ville a connu son apogée à l’époque de la bourse aux céréales, où comme Chicago elle était un centre d’activité important. Même si c’est resté une grande ville pour le Canada, elle est surtout étendue et le vrai centre est ridiculement petit.

On reprend la route et il y a plus de voyageurs désormais. Enfin il y a toujours à peu près 2 sièges par personne, peut-être que deux personnes ont chacune leur siège

En quittant Winnipeg, on longe des champs qui s’étendent petit à petit jusqu’à perte de vue. Et le réseau routier semble moins important, le long de la voie ferrée c’est une piste que les pick-up parcourent pour probablement rejoindre les champs et les fermes.

Plus loin on atteint la vallée de l’Assiniboine pour un peu de changement dans les paysages. On a droit à quelques collines vertes et des forêts peu denses qui longent les méandres de la rivière Assiniboine.

On traverse encore et encore des champs. Mais aujourd’hui cela passe vite. On était entré au Manitoba dans la nuit, et dans l’après-midi on a atteint la Saskatchewan, l’autre province des céréales et apparemment des mines de potasse. Dans la nuit on passe en Alberta pour atteindre Edmonton au petit matin. Après avoir pris 24h pour traverser l’Ontario, on va passer par trois autres provinces en 24h de plus.

Ce soir dans la voiture dite “skyline”, c’est la voiture qui contient un deuxième étage pour obtenir une meilleure vue sur les paysages (surnommée la “bubble car”), des voyageurs ont sorti leur guitare et jouent et chantent. J’apprécie le coucher de soleil avec la musique. Ça détend de prendre le temps de vivre.

La nuit tombe à Saskatoon et elle offre ensuite des paysages qui mettent en valeur les industries canadiennes. Parmi les plaines des prairies on voit essentiellement les lumières des énormes usines d’exploitation des ressources naturelles, à aucun moment pendant le voyage je ne verrai d’étoiles alors même que l’on se trouve souvent au milieu de nulle part.

Ce matin je me réveille enfin pour voir le soleil se lever. Et c’est particulièrement beau de le voir commencer la journée au-dessus des plaines vertes de l’Alberta encore recouvertes de brume ici et là. La lumière orangée se reflète sur les champs brumeux.

Ce beau paysage laisse très vite la place aux usines massives. On approche la ville très étendue d’Edmonton, et ses installations gigantesques. On prend 45 minutes de retard à cause du trafic de marchandises important. Peu après Edmonton, on peut voir quelques derricks pour l’extraction du pétrole cette fois-ci.

On passe le long du lac Wabamun, lieu populaire pour les week-ends d’été et pour les sports aquatiques.

Mais les choses sérieuses commencent après Hinton. On entre dans les forêts et on sent que l’on s’approche des Rocheuses. Jasper et son parc national ne sont plus très loin. On longe la rivière Athabasca et le lac Brule, ce sont de magnifiques panoramas qui nous sont offerts. Le lac est bordé de montagnes de pierre sans neige. Je mitraille avec mon appareil photo et profite de ces vues superbes. Jusqu’à Jasper les différents sommets se succèdent dans différents cadres. Après le lac on continue le long de la rivière que l’on voit de temps en temps, dissimulée par une forêt peu dense. Les montagnes sont toujours en fond de décor.

Plus loin, on voit un sommet constitué de tranches de roche. Puis après Jasper on voit un sommet enneigé. La paroi est du rocher, parfois des pierriers, puis de la forêt. Et elle tombe à pic dans le lac Moose. Les paysages donnent à rêver, ils semblent vierges de toute intervention humaine, on ne voit même pas de refuge ou chemin de randonnée. Cet espace sauvage est pourtant relativement accessible aux randonneurs avec son réseau de 1000km de sentiers en arrière-pays.

C’est l’un des paradoxes du Canada. Il y a d’un côté une préservation des espaces naturels et leur mise en valeur tout en respectant des quotas sur le nombre de randonneurs. D’un autre côté il y a une exploitation massive des ressources naturelles dans certaines autres régions, les minerais, hydrocarbures, le bois, l’eau pour l’électricité … Et une part très significative de l’économie canadienne est basée sur cette exploitation. Il y a une marge de manoeuvre quand on voit l’immensité des territoires traversés ces derniers jours, qui représentent pourtant une petite partie du territoire total, mais on peut se demander si un jour on arrivera à bout des ressources disponibles et que les espaces vierges du Canada seront réellement menacés. Ou y aura-t-il un équilibre réellement respecté entre les zones exploitées et les zones protégées ?

En redescendant vers Kamloops, du côté de la Colombie-Britannique, on longe les chutes Pyramide hautes de 100m. On traverse des forêts, on côtoie des rivières, on descend des vallées. A 21h, on se croirait l’après-midi, le soleil semble vouloir rester accroché haut dans le ciel. Quelques heures plus tard, il a bien voulu laissé la nuit venir, pour 6h au moins.

Ce soir j’ai l’occasion de parler à quasiment tous les passagers que je n’avais pas vraiment rencontré jusque là. Et je me rends compte à quel point la grande majorité sont des Canadiens. En venant ici je pensais trouver essentiellement des européens et des personnes âgées qui viennent comme en croisière à travers le continent. Au final la majorité sont des jeunes, des Canadiens de Victoria (à l’ouest) à Québec, qui ont choisi le train pour changer de l’avion, par curiosité. Tous ont de belles histoires à raconter. Certains partent pour la Californie, sans plan autre que la destination finale. Plusieurs rentrent chez eux après une année à l’est ou des mois en Europe, d’autres partent à l’ouest apprendre l’anglais ou cueillir des fruits dans l’Okanagan. Au final cette dernière soirée a des airs de fin d’une colo, d’un voyage dans un monde parallèle pour quelques jours.

Ce voyage est aussi le moment de vérifier les clichés sur le Canada: l’est du pays ce sont des villes, l’Ontario est bien la plus grande province et une province aux milliers de lacs, les prairies au centre sont bien plates et ennuyeuses, les mines et usines sont gigantesques, les Rocheuses sont majestueuses. Demain on vérifiera que le climat de la Colombie-Britannique est bien doux, demain on verra l’océan. Après avoir atteint le bout du monde au cap Gaspé, voilà le moment de chercher le bout du monde à l’ouest.

Ce matin je me réveille au milieu d’une vallée à côté du lit d’une rivière, coincé entre deux massifs éclairés par la lumière timide du matin. Dans le train, au fur et à mesure que les gens se réveillent, ils rangent leurs affaires. C’est la fin. On arrive à l’heure à Vancouver. Parti mardi soir à 1h du matin de Toronto, nous voilà à 9h42 à Vancouver. 84 heures pour cette balade transcontinentale.